Cruising
La police new-yorkaise enquête sur deux meurtres d'homosexuels
appartenant à la tendance sado-masochiste, qu'elle pense être dus au
même tueur. Le capitaine David Edelson, chargé de l'affaire, propose à
un jeune policier en uniforme, Steve Burns - qui possède les
caractéristiques physiques des victimes - d'infiltrer la communauté
gay. Comme il ambitionne de devenir "enquêteur", Steve, voyant la
possibilité d'une rapide promotion, accepte, en dépit du danger qu'il
encourt.
Installé dans un appartement de Greenwich Village, Steve
fréquente toutes les nuits les lieux de rendez-vous homosexuels : bars,
discothèques, boîtes de nuit, jardins publics.
L'assassin, habillé
d'un blouson de cuir à pièces métalliques cliquetantes, porteur d'une
casquette de motocycliste et le visage dissimulé derrière des lunettes
de soleil, frappe par deux fois encore..
Si certes Friedkin s'est planté dans sa carrière (c'est indéniable), il ne faut pas oublier des oeuvres comme L'exorciste, French Connection, Police Federale Los Angeles, le Convoi de la peur et ce Cruising,
qui constituent un panel des plus grands films américains de ces trente
dernières années. Ce qui caracterise le cinéma de Friedkin, c'est son
ambiguité. Ses films troublent, agaçent... mais fascinent souvent.
C'est le cas de Cruising, tiré d'un fait divers, qui exerce un pouvoir à la fois fascinateur et répulsif.
Cruising fut un échec considérable, intervenant après celui du Convoi de la peur
quelques années plus tôt, échec qui l'affligeat. A l'époque du
tournage, la communauté gay s'etait divisée : ceux qui ont accepté le
film et les détracteurs qui s'y sont formellement opposés, empêchant
ainsi le tournage d'arriver à son terme. Certains pensaient en effet
que le film constituait une atteinte à la communauté gay. Friedkin
expliquait pourtant que le film reflètait la realité qui lui avait été
montrée. Ainsi, son film s'apparente à un documentaire du milieu
SM-underground new-yorkais du début des années 1980.
Particulièrement malsain, Cruising s'attache
à nous raconter la sombre histoire de Steve Burns (Al Pacino
méconnaissable), chargé d'infiltrer le milieu gay new-yorkais, afin de
traquer un sérial-killer. Toute la thèmatique de Friedkin en somme : un
héros qui traque sa proie jusqu'à en perdre ses propres repères. Steve
s'acclimate très rapidement à cet « univers » qui lui est étranger. Il
le dit lui-même quand son supérieur le charge de cette « mission ». Au
fil de son enquête, le personnage de Steve semble évoluer. Ce n'est
plus le flic discret du début. En ce sens, le film décrit une
transformation, comme souvent chez Friedkin. Cette « expérience » lui
donnera de l'assurance, mais le confrontera en même temps à ses propres
ambivalences : Steve peut à tout instant basculer de « l'autre cotê ».
A cet égard, Friedkin clôt son film laissant le spectateur dans le
doûte le plus total : Steve finit-il comme eux ? a-t-il changé ?...
Cruising
est donc un film sur les apparences : qui est vraiment le héros ? comme
la plupart des personnages friedkiniens, souvent ambigus au possible
(de Popeye Doyle dans French Connection à Richard Chance de Police Federale Los Angeles) on en sait peu sur Steve Burns. A ce sujet, Friedkin s'exprime : « Des
influences comme Samuel Beckett et Harold Pinter m'ont appris que l'on
ne sait rien sur les personnages, ils ne font que parler simplement,
discuter, mentent peut-être. Ce qu'ils disent n'est peut-être pas la
vérité. On a très peu d'indices pour savoir qui ils sont vraiment ou ce
qu'ils pensent. Il n'y a que leur comportement et ce qu'ils disent. ». Ces dires confirment l'une des séquences de Cruising :
au début du film, l'un des tueurs descend un escalier. Un peu plus
tard, le même plan, mais cette fois centré sur Steve. Friedkin laisse
planer le doûte sur l'identité du tueur. Friedkin expliquait que
personne n'avait jamais su si un tueur était à l'origine de tous ces
meurtres. Quand on connaît un peu le cinéaste, on peut imaginer qu'il
s'agit d'un pretexte pour réaliser un film sur les troubles de
l'identité.
Les dernières séquences du film reflètent bien cette
démarche: Steve se regarde dans le miroir, se demandant : qui suis-je
réellement ? et finit par interpeller le spectateur : savez réellement
qui je suis ? en somme, je ne suis pas ce que vous pensez. Ce qu'on
voit en surface n'est qu'une illusion. Dans Police Federale Los Angeles, Richard Chance voulait venger son partenaire, abattu par des truands. Mais jusqu'ou pouvait-il aller pour atteindre la frontière ?
Quand on arrive au terme du métrage, on ne sait pas quoi penser de ce Cruising.
C'est seulement avec le recul qu'on encaisse. Un film plutôt étrange,
mais fascinant en soi. Archétype même du film qu'on aime ou qu'on
déteste.